"ILS ONT DIT NON"
La lutte armée
| Citation | Aragon |
Missak Manouchian : une vie
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Ils étaient 23 résistants, presque tous étrangers.
Ils ont péri pour la liberté.

Hommage du PCF du Val d'Oise (22.02.2020)
Voir aussi

Wikipedia

Résumé historique
source Comité de jumelage Corse-Arménie

Vidéo : Arto Pehlivanian
 

Un lourd passé, dont ils sont les héritiers directs, une idéologie forte et profondément anti-nazie, une volonté de servir la France ...
Reportage Mélanie Courtois - Nouvelles d'Arménie Magazine N° 95 Mars 2004

Début 1943. Les officiers allemands se promènent sur les grands Boulevards parisiens en tenues militaires. Ils paradent sur les Champs Elysée, viennent se reposer et s'amuser dans la capitale. Le théâtre, la bonne bouffe, le vin.

C'était sans compter sur les Francs tireurs. " On les abattait comme des pigeons, en plein jour, en pleine rue ", se souvient Arsène Tchakarian, résistant et historien.

Quelques mois après, les tenues militaires ont disparu. La confiance et la fierté ont laissé place à la peur. Les militaires font alors profil bas, se promènent discrètement en civil. En quelques mois, tout a basculé à Paris. Grâce à des hommes qui ont eu le courage et la possibilité de résister. Aujourd'hui combien savent ce qui s'est réellement passé ? Ce que ces hommes vivaient ? A l'occasion du 60ème anniversaire de l'exécution du groupe Manouchian, un petit retour en arrière s'impose.

Une résistance organisée

Arsène Tchakarian et Henry Karayan sont deux des rares survivants à avoir résisté au côté de Missak Manouchian. Des  dizaines d'autres hommes et femmes se sont impliquées régulièrement ou occasionnellement dans les actions des FTP-MOI, les francs tireurs et partisans de la main d'ouvre immigrée. " Nous ne sommes pas des héros, souligne Arsène Tchakarian. Il ne faut pas croire que nous n'avions pas peur. Nous avons résisté parce que nous en avions la possibilité : pas de famille, pas de travail. Et parce que nous aimions la France. Elle nous avait adopté. Mais il faut imaginer dans quel état nous étions. Pour ma part, je ne mangeais pas. Je n'arrivais pas à avaler, j'avais comme une boule dans la gorge. Je ne dormais pas non plus et si, par épuisement, je finissais par sombrer, je ne faisais que des cauchemars. A la fin de la guerre, je faisais 40 kilos ". Dans le groupe des Francs Tireurs, il était 40. 40 permanents, mais une centaine en tout, à enchaîner les actions contre l'armée allemande. Cette résistance, ces hommes et ces femmes la portait en eux. C'était vital, indiscutable, naturel. La plupart, comme Henri Karayan et Missak Manouchian avaient voulu partir en Espagne pour lutter contre Franco mais pour diverses raisons ils n'ont pas pu.

Jamais ils n'ont conçu vivre sans résister à tout ce qui s'opposait à la République. " La première fois que j'ai rencontré Manouchian, se souvient Henri Karayan, nous avons passé l'après-midi ensemble. Tout ce qu'il me disait résonnait en moi. Nous partagions les mêmes convictions. Cet homme m'a également tout appris, l'amour de la poésie, de la biologie, de la philosophie. Il était très intelligent et surtout on pouvait lui faire une confiance aveugle. Et d'ailleurs tout le monde lui faisait confiance et l'admirait. Mais il était très timide et quant il parlait, c'était uniquement de résistance ".
Passage a la lutte armée
Tout a commencé en 1942. Des groupes de résistants fabriquent quelques bombes rudimentaires, déterrent des armes  rouillées. Les accidents sont nombreux et les arrestations se succèdent, par manque d'organisation. Missak Manouchian, Henri Karayan ainsi que beaucoup d'autres distribuent des tracts. " Mais cela était dangereux car nous n'avions rien pour nous défendre, explique Henri Karayan. Dès que nous avons pu nous nous sommes engagés dans la lutte armée ".

La mise en place du Conseil National de la résistance va, en effet, changer la donne. Des armes parachutées d'Angleterre  seront fournies aux résistants. " Ce qu'il faut bien comprendre c'est que la résistance était avant tout française. Il ne faut pas l'oublier. Dans notre groupe, il y avait, en effet, des immigrés arméniens, italiens, juifs, espagnols, mais également des Français. D'ailleurs personne ne connaissait nos origines. Nous avions un nom de guerre, Maurice par exemple pour Missak  Manouchian, et un numéro de matricule.

Personne ne savait nos vrais noms, où nous habitions. De plus, nous avions de fausses cartes d'identité pour présenter aux Allemands. Moi j'étais censé être corse . A partir du moment où on nous a fournit des armes, nous avons dû organiser les Francs Tireurs afin d'agir le moins dangereusement possible tout en étant efficace. Pour cela, il nous fallait un homme capable d'assumer cette responsabilité ", rappelle Arsène Tchakarian. Qui mieux que Missak Manouchian pouvait occuper cette  fonction ? Poète, journaliste et immigré arménien, il est choisi pour son courage, son intelligence et surtout pour son sens de l'organisation. "

C'était un athlète, un grand sportif, raconte Henry Karayan, qui a vécu 18 mois avec Missak Manouchian. Il était bon, il  écoutait les gens et surtout il avait une vision très humaine et très intelligente de la résistance. Il ne voulait pas de " Héros fous ", pour reprendre une expression du docteur Kaldjian, de Kamikazes. Des volontaires prêts à se faire sauter, il y en avait, mais lui ne supportait aucun sacrifice. Il ne commandait une opération que si elle était sûre ". Il devient donc responsable de la  section militaire des Francs Tireurs de Paris. " Missak nous indiquait les endroits stratégiques, et ensuite, nous réfléchissions à un plan. Nous avions rendez-vous avec lui deux fois par semaine. Par exemple, en juin 1943, lors de ma première action, c'est lui qui m'a indiqué ce bus plein de jeunes militaires allemands. ". Ensuite, les groupes s'organisent. Pas de téléphone, ni de traces écrites. Chaque rencontre est prévue, avec un rendez-vous de rattrapage si jamais l'un des deux a un empêchement. "  Nous nous croisions dans une rue. Chacun regardait derrière l'autre s'il n'était pas suivi, et si tout allait bien, nous nous  rejoignions dans une autre ruelle pour discuter. Pour les actions, nous étions en général trois. L'un jetait la grenade, l'autre avait un pistolet dans sa poche pour défendre le premier, et un troisième attendait un peu plus loin avec des vélos. Nous rejoignons une femme à qui nous donnions le pistolet qu'elle cachait dans un sac à provision ". Entre le 17 mars 1943, date à laquelle  Missak Manouchian est nommé chef de la section militaire de Paris et le 12 novembre, début des arrestations, les francs  Tireurs organiseront entre une et deux attaques par jour contre l'armée allemande à Paris et ses environs. Au total, entre 1500 et 2000 soldats sont tués, ainsi que près de 200 officiers. Treize déraillements font des dégâts énormes. " Le point fort de  Missak Manouchian a été de cibler nos actions. Nous visions des hauts placés ", explique Henry Karayan.

Tout bascule
Devant ces attaques incessantes, et le climat de peur qui règne désormais à Paris au sein de l'armée allemande, cette dernière  décide d'agir. Elle exige de l'aide de la part de la police française. Les meilleurs enquêteurs allemands sont envoyés à Paris. "  Davidowitch, responsable de la section politique des Francs tireurs de Paris et un nommé Roger, agent de liaison du groupe ont fournit de nombreux documents à l'occupant, explique Arsène Tchakarian. Grâce à ces deux traîtres, l'armée allemande a pu comprendre l'organisation et la structure très complexe de notre groupe.". " Missak savait que c'était des traîtres, nous le savions tous, se souvient Henry Karayan. D'ailleurs un jour, Davidowitch nous avait donné rendez-vous entre deux murs de cimetières. J'avais flairé le guet à pans et j'ai pu partir juste avant que les policiers arrivent ". Les enquêteurs apprennent donc que de nombreux immigrés agissent au sein du groupe. " Ensuite, le travail a été long, mais, malheureusement, a porté ses fruits, explique Arsène Tchakarian. Ils ont obtenu la liste des immigrés d'avant guerre enregistrés par la police. Ensuite ils les ont épluchées. Ils regardaient ceux qui ne travaillaient plus, qui étaient célibataires. Au fur et à mesure, ils ont remonté des pistes. Ils allaient dans les quartiers, suivaient les immigrés soupçonnés. Ils ne pouvaient pas prendre le risque de les arrêter en plein jour. Ils repéraient leurs maisons et les arrêtaient la nuit ".

"Ces filatures ont duré deux ou trois mois, se souvient Henry Karayan. C'était très dur, car à chaque fois nous devions nous en débarrasser, en sautant dans des bus en marche. Une fois j'avais rendez-vous avec Missak dans une rue, je lui ai fait signe qu'il était filé et nous n'avons pas pu parler. Ca devenait de plus en plus fréquent et de plus en plus dangereux". Le 16 novembre 1943, Missak Manouchian doit rencontrer Joseph Epstein, responsable des Francs-Tireurs pour l'île de France sur les berges de la seine à Evry Petit-Bourg dans l'Essone. " La veille, je lui ai donné un petit pistolet en lui disant, qu'avec ça il ne pourrait pas se défendre, ce n'était pas assez, nous savions ce qui allait arriver, raconte Henry Karayan Et justement ce rendez-vous avait été arrangé pour prendre une décision. Missak Manouchian devait dire à Epstein que nous ne pouvions plus continuer comme cela, qu'il fallait changer notre organisation, nous disperser provisoirement ". Il est capturé sur la rive gauche. Au total, 23 arrestations ont lieu. " Je suis allé voir Arpen Tavitian, pour lui dire de fuir, souligne Henry Karayan. Mais il n'a pas voulu. Quand je suis reparti, j'ai vu des policiers qui le surveillaient.

Mais je ne pouvais plus faire demi-tour, j'aurais été arrêté ". Un jugement de mascarade est organisé le 21 février 1944.

Tous sont condamnés. Ils ne regrettent rien. Ils sont unanimes : si c'était à refaire ils le referaient sans hésitation. Vingt-deux résistants du groupe Manouchian sont fusillés, le jour même au Mont Valérien. Olga Bancic, la vingt troisième sera décapitée en Allemagne. " Elle se faisait fouetter, elle n'a jamais parlé, vous ne vous rendez pas compte de ces femmes, ces femmes qui ont résisté, qui ont tout donné. Qu'est ce qu'on peut donner de plus que sa vie ? Qu'est ce qu'on peut faire de plus ? " Henry Karayan a les larmes aux yeux. "

J'ai perdu tellement d'amis. Il n'y a pas de mots pour raconter, on ne peut pas. Manouchian est un homme qui n'a aucun travers. Nous l'admirions tellement. " Ces arrestations donnent lieu à une grande campagne de propagande. La très connue Affiche Rouge est placardée dans tout Paris par l'armée allemande. " Elle voulait montrer que la résistance était étrangère, que nous étions des terroristes. Mais les Parisiens ne sont pas idiots, ils ont vite compris que nous étions des résistants et des patriotes, se souvient Arsène Tchakerian. Finalement cela a réveillé un grand nombre de jeunes, et quelque part à aider à relancer la résistance ". La tactique allemande échoue donc. Ces patriotes d'origine étrangère rentreront dans la mémoire collective. Mais les actions du groupe Manouchian s'arrêtent là. "

Nous avons perdu contact car nous n'avions aucun autre moyen de nous joindre que les rendez-vous à la sauvette. Comme je l'ai dit, nous ne savions rien des uns et des autres. De toute façon, cela était trop dangereux de continuer ". Pourtant certains n'abandonneront pas et partiront pour le maquis.

Ces 23 résistants sont mort avec une certitude : la fin était proche. Dans sa dernière lettre adressée à sa femme Méliné, Missak Manouchian écrit : " Je meurs à deux doigts de la victoire et du but (...) avec le courage et la sérénité d'un homme qui a la conscience bien tranquille ".

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Les héros de l'Affiche rouge
Ils étaient 23 résistants, presque tous
étrangers. Ils ont péri pour la liberté.

article Convergences Mai/juin 2014
Christian Kazandjian

Ils étaient 23. Des hommes jeunes, plus une femme : 23 martyrs.

Ils étaient italiens, juifs de Hongrie ou de Pologne, arméniens, espagnols. Membres de la MOI (Main d'œuvre immigrée), organisation créée par le parti communiste, ils avaient combattu contre l'envahisseur nazi. Issus de la classe ouvrière, ils étaient la France qui refuse l'oppression, la France de la fraternité entre les peuples, quand des grands chefs d'entreprise se vautraient dans la collaboration et que le gouvernement de Vichy envoyait la police française contre tous ceux qui résistaient. Ils furent arrêtés, après des mois de traque, à l'automne 1943.

Adolescent, Julien Lauprêtre, futur président du Secours populaire français, partagea, quelques heures durant, la captivité de certains d'entre eux, dans les locaux de la police. Marqué par cette rencontre, il y puisera ses motivations pour les luttes futures contre l'oppression, les inégalités.

L'un de ces hommes était Missak Manouchian, commissaire militaire pour la région parisienne de l'organisation. Son portrait figure, à côté de celui de neuf de ses camarades, sur les affiches que les nazis et leurs complices français placarderont. L'Affiche rouge peuplée de «terroristes étrangers » était censée flétrir la Résistance. Il n'en fut rien comme en témoignent les furtives inscriptions : « morts pour la France », barrant l'infâme propagande. Ils furent fusillés ; le 21 février 1944, au mont Valérien —Olga Bancic sera décapitée le 10 mai à Stuttgart. Les bourreaux avaient choisi, pour effrayer le passant, des noms qui «à prononcer» sont « difficiles », comme l'écrivit Aragon dans le poème dédié aux 23 héros. En vain. Leur souvenir demeure vif dans la mémoire populaire. Rappelons-les : Celestino Alfonso, Olga Bancic, Joseph Boczov, Georges Cloa-rec, Rivo Della Negra, Thomas Elek, Maurice Fingercwajg, Spartaco Fontano, Emeric Glasz, Jonas Geduldig, Léon Gold-berg, Szlama Grzywacz, Stanislas Kubacki, Cesare Luccarini, Missak Manouchian, Marcel Rayman, Roger Rouxel, Antonio Salvadori, Willy Schapiro, Armenak Tavitian, Amedeo Usseglio, Wolf Wajsbrot, Robert Witchitz.

 

Missak MANOUCHIAN
FRANCS-TIREURS PARTISANS FRANCAIS
COMITE MILITAIRE NATIONAL 

Paris, le 5 Septembre 1944
Le Commandant F.T.P. MANOUCHIAN Missak  

 

s’est engagé volontairement dans les rangs des F.T.P. en novembre 1942. Il devient rapidement chef de groupe, puis, en tant que combattant immigré, il est promu Commandant F.T.P.F. de tous les groupes immigrés combattant sur la région parisienne. Il organise et participe à de nombreuses actions contre les envahisseurs allemands et les traîtres à leur solde.

Arrêté par la Gestapo, il est fusillé le 24 février 1944.

             Homme d’une grand bravoure, il a rendu à notre pays d’inestimable services et a bien mérité de notre Patrie. C’est pour cette raison qu’au début de l’année 1944, il fut nommé Capitaine d’Honneur du Gouvernement d’Alger. 

Pour Le Comité Militaire Nationale des F.T.P.F.
Le Commandant Militaire National
Le Colonel BAUDOUIN
 


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En zone nord, particulièrement dans la région parisienne, l’Arménien Missak Manouchian devient le chef des F.T.P.F.M.O.I. et du détachement « Stalingrad ». Le travail de liaison est assuré par l’épouse de Manouchian, Méliné.
Le détachement « Stalingrad » participa en 1943, à des dizaines d’attaques audacieuses à Levallois, Belleville, Clichy, Saint-Ouen, Montrouge, Issy-les-Moulineaux, dans le 16e arrondissement. »


L'AFFICHE ROUGE
Vous n'avez réclamé la gloire ni les larmes
Ni l'orgue ni la prière aux agonisants
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous étiez servis simplement de vos armes
La mort n 'éblouit pas les yeux des Partisans.

Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
L'affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu'
à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants.

Nul ne semblait vous voir Français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l'heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos
MORTS POUR LA FRANCE
Et les mornes matins en étaient différents.

Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient leur cœur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s'abattant.
 

ARAGON
               
 
 

Après leur exécution, les 23 Résistants de l'AFFICHE ROUGE furent chargés sur un camion-benne et jetés dans une fosse commune du cimetière d'IVRY...

 

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Missak Manouchian : Une vie

Missak Manouchian
(Sur cette photo
au troisième rang, marqué d'une croix blanche à droite,  en 1919 à l'orphelinat de Djunié au Liban).

" Croire que Manouchian était poète à certaines heures et révolutionnaires en d'autres et homme pendant ses heures de loisir relève de la plus grande absurdité. Il était les trois à la fois. Et vingt-quatre heures sur vingt-quatre ". Ainsi le décrit Henri Karayan, qui a combattu sous ses ordres.

Né le 1er septembre 1906 à Adyaman, en Arménie Turque dans une famille de paysans arméniens, Missak Manouchian perd son père à l'age de huit ans. Sa mère meurt d'une maladie peu de temps après. Il restera marqué à vie par les atrocités du génocide.

Après avoir été hébergé par une famille kurde puis par une institution chrétienne, il débarque à Marseille en 1924. Il enchaîne les petits boulots de menuisiers, sans passion. La capitale l'attire. Il a soif de savoir. Il profite de ses longues journées de chômage pour fréquenter les bibliothèques, côtoyer les milieux culturels arméniens et suivre des cours de littérature, de philosophie et d'histoire. Avec son ami Semma, il fonde deux revues littéraires :  " Tchank " et " Machagouyt ". Il compose également des poèmes mais cela ne lui suffit plus, il adhère au parti communiste et intègre le groupe arménien de la MOI, main d'ouvre immigrée en 1934.

Après la défaite en 1940, il redevient ouvrier puis responsable de la section arménienne de la MOI clandestine. Dans un premier temps, il effectue un travail de propagande. Très vite, il  s'engage dans la lutte armée et devient responsable de la section militaire des Francs tireurs  de Paris. En 1943, de très nombreuses attaques se succèdent alors à Paris, faisant de gros dégâts. L'organisation semble infaillible. Mais en raison de trahisons internes, Missak Manouchian est arrêté le 16 novembre 1943.

Juste avant son exécution, le 21 février 1944, avec 21 autres membres de son groupe au Mont Valérien, il déclare. " Au moment de mourir,  je proclame que je n'ai aucune haine contre le peuple allemand et contre qui que ce soit, chacun aura ce qu'il méritera comme châtiment et comme récompense. Le peuple allemand  et tous les autres peuples vivront en paix et en fraternité après la guerre qui ne durera plus  longtemps. Bonheur à tous. ".

Buste à l'effigie de Missak Manouchian à Issy-les-Moulineaux, inauguré le 21 Février 2010
G à D : Henry Karayan, compagnon de Manouchian,
André Santini, Ancien Ministre, Député-Maire d'Issy-les-Moulineaux
Arsène Tchakarian, compagnon de Manouchian.

photo : Jean Eckian
reportage complet dans les Nouvelles d'Arménie Magazina

Décès des derniers compagnons de Missak Manouchian

V
Henry Karayan

V
Arsène Tchakarian

Résumé historique -

Missak Manouchian est né dans une famille de paysans arméniens dans la ville turque d’Adıyaman (ancienne capitale de la Commagène). Enfant, il perd son père lors du génocide arménien de 1915, et sa mère meurt quelque temps après, victime de la famine qui s’ensuivit.

Lui-même et son frère Karabetn sont sauvés par une famille kurde qui les recueille. À la fin de la guerre, il est pris en charge par la communauté arménienne et transféré avec son frère dans un orphelinat de Byblos Jounieh Jbeïl (Tchernots Pouyn de Maria Jacobsen), au Liban, passé sous contrôle français en 1918 (mandat de la SDN à partir de 1920). Là il est formé au métier de menuisier et est initié par un de ses maîtres d’école aux lettres arméniennes.

L’immigré arménien en France (1925-1934) -
En 1925, Missak et Karabet débarquent à Marseille, sans doute grâce à un réseau d’immigration clandestine. Missak exerce le métier de menuisier, notamment à La Seyne. Puis les deux frères décident d’aller à Paris. Karabet étant tombé malade, Missak se fait embaucher comme tourneur aux usines Citroën, afin de subvenir à leurs besoins. Karabet décède cependant en 1927. Missak est licencié au moment de la grande crise économique du début des années 1930.

Il gagne alors sa vie grâce à des travaux irréguliers : en particulier, il pose pour des sculpteurs. Mais il s’intéresse alors surtout à la littérature et écrit des poèmes. Avec un ami arménien, Semma (ou Séma), de son vrai nom Kégham Atmadjian, il fonde deux revues, Tchank (l’Effort) et Machagouyt (Culture), dans lesquelles ils publient des articles sur la littérature française et la littérature arménienne et des traductions en arménien de Baudelaire, Verlaine et Rimbaud.

À la même époque, ils sont inscrits à la Sorbonne comme auditeurs libres et y suivent des cours de littérature, de philosophie, d’économie politique et d’histoire.

Le militant communiste et le responsable du HOC (1934-1939)

En 1934, à la suite des événements du 6 février, Missak adhère au parti communiste ainsi qu’au HOC (Comité de secours pour l’Arménie), originellement HOK (Haï Oknoutian Komité), forme abrégée de Hayastani Oknoutian Komité5 où Hayastani correspond à « Arménie ». Le HOK a été créé le 13 septembre 1921 par le gouvernement de la République soviétique d’Arménie pour collecter des ressources dans la diaspora, alors que l’Arménie subissait le blocus allié, en même temps que la Russie soviétique.

Le HOC -
Le HOC a été fondé vers 1925, comme dans la plupart des pays occidentaux ayant une communauté arméniennen 5. En 1935, c’est à la fois la section française (désignée par un sigle composite franco-arménien) du HOK, l’organisation de masse du PCF en direction de la communauté arménienne en France et la section arménienne de la MOI (main-d’œuvre ouvrière immigrée), organisation fortement liée à l’Internationale communiste (le Komintern).

La principale personnalité du HOC est le docteur Haïc Kaldjiann. L’effectif du HOC s’élève à environ 7 000 personnes à l’époque du Front populaire, soit un des plus élevés de la MOI. Son siège se trouve rue Bourdaloue ; il est dirigé par un conseil central. Il est formé par les comités locaux (un par ville, sauf à Paris et à Marseille). Missak est membre du comité du Quartier latin et contribue rapidement au journal du HOC.

En 1934-1935, époque de la montée du Front populaire, le HOC connaît un développement notable des effectifs et a besoin de nouveaux cadres ; lors du congrès de juillet 1935, Missak Manouchian est proposé par la direction pour le poste de « deuxième secrétaire » (Haïc Kaldjian étant le premier en tant que « secrétaire général ») et élu, devenant donc un permanent de l’organisation.

Il devient aussi membre du conseil central, en même temps, entre autres, que Mélinée Assadourian, déléguée du comité de Belleville, qui est de plus engagée comme secrétaire (dactylographe) ; elle deviendra la compagne de Missak en 1937.

Le journal Zangou -
Une des responsabilités de Missak est d’être rédacteur en chef du journal du HOC, qui prend en 1935 le nom de Zangou8, du nom d’une rivière qui arrose Erevan. Le rôle initial du journal du HOC était de contribuer au soutien à l’Arménie soviétique ; dans les années 1930, il diffuse des informations sur ce pays et sur l’URSS (Zangou relaie la propagande stalinienne concernant les procès de Moscou) et développe sur différents sujets le point de vue dit progressiste au sein de l’immigration arménienne.

Une rubrique importante est celle de la correspondance des travailleurs (dite selon la formulation russe rabcor), les nouvelles émanant des cellules d’entreprises. Il y a aussi des reportages et des articles culturels. À partir de juillet 1936, le journal agit pour la défense de la République espagnole ; Manouchian fait d’ailleurs partie du Comité d’aide aux Républicains espagnols.

En même temps qu’a lieu le reflux du Front populaire, l’organisation connaît des difficultés qui amènent sa dissolution en 1937n 7, puis la création d’une nouvelle structure, l’Union populaire franco-arménienne. Zangou cesse de paraître en 1938.

À la fin de l’année 1937, Missak Manouchian est délégué au 9e congrès du PCF et dans l’ensemble conserve une activité militante importante jusqu’à l’été 1939.

La guerre et la résistance
Le 2 septembre 1939, Missak Manouchian est arrêté ainsi que Haïc Kaldjian9 alors que l’interdiction du Parti communiste et des organisations proches intervient seulement le 26 septembre, un mois après le pacte germano-soviétique. Manouchian peut cependant sortir de prison en octobre et est affecté comme engagé volontaire dans une unité stationnée dans le Morbihan.

Après la défaite de l’armée française en juin, il reste sous le contrôle des autorités à l’usine Gnome et Rhône d’Arnage (Sarthe), qu’il quitte illégalement au début de 1941 pour revenir à Paris. Il est de nouveau arrêté peu après le 22 juin 1941, date de l’invasion de l’URSS par les Allemands, et incarcéré sous contrôle allemand au camp de Compiègne.

Il est libéré au bout de quelques semaines, aucune charge n’étant retenue contre lui. Il habite avec son épouse Mélinée au 11 rue de Plaisance dans le 14e arrondissement de Paris de 1941 jusqu’au 16 novembre 1943, date de son arrestation.

À partir de 1941 puis en 1942, il est entré dans le militantisme clandestin, mais on sait peu de choses de ses activités au sein de la MOI clandestine. Il devient responsable politique de la section arménienne au cours de l’année 1941, se trouvant donc sous l’autorité du « triangle » de direction de la MOI : Louis Gronowskin 8, Simon Cukiern 9, sous le contrôle de Jacques Duclos.

Un élément intéressant réside dans la familiarité durant ces années des Manouchian avec Micha et Knar Aznavourian, sympathisants communistes, engagés dans la résistance dans une activité très importante, le « Travail allemand » (la démoralisation des soldats allemands et l’assistance à leur désertion ; le recrutement d’agents allemands pour le renseignement), comme en a témoigné Charles Aznavour, en particulier en 1985.

En février 1943, Manouchian est versé dans les FTP-MOI, groupe des Francs-tireurs et partisans – Main-d’œuvre immigrée de Paris : il s’agit de groupes armés constitués en avril 1942 sous la direction de Boris Holban, Juif originaire de Bessarabie. Le premier détachement où il est affecté comporte essentiellement des Juifs roumains et hongrois et quelques Arméniens. Le 17 mars, il participe à sa première action armée, à Levallois-Perret, mais son indiscipline lui vaut un blâme et une mise à l’écart.

En juillet 1943, il devient commissaire technique des FTP-MOI de Paris ; en août, il est nommé commissaire militaire de la région parisienne, à la place de Boris Holban démis de ses fonctions pour raisons disciplinaires (il jugeait suicidaires les missions dans le contexte du moment) tandis que Joseph Epstein, responsable d’un autre groupe de FTP-MOI, est devenu responsable des Francs-tireurs et partisans pour l’ensemble de la région parisienne.

Epstein est donc le supérieur hiérarchique de Manouchian, la direction politique étant exercée par un des cinq membres de la direction nationale de la MOI, Jacques Kaminski, qui a pour adjoint et délégué auprès des militaires Marino Mazetti. Manouchian lui-même a sous ses ordres trois détachements, comprenant au total une cinquantaine de militants.

On doit mettre à son actif l’exécution (par Marcel Rayman, Léo Kneler et Celestino Alfonso), le 28 septembre 1943, du général Julius Ritter, adjoint pour la France de Fritz Sauckel, responsable de la mobilisation de la main-d’œuvre (STO) dans l’Europe occupée par les nazis. Les groupes de Manouchian accomplissent près de trente opérations dans Paris du mois d’août à la mi-novembre 1943.

La Brigade spéciale no 2 des Renseignements généraux avait réussi deux coups de filet en mars et juillet 1943. À partir de là, elle put mener à bien une vaste filature qui aboutit au démantèlement complet des FTP-MOI parisiens à la mi-novembre avec 68 arrestations dont celles de Manouchian et Joseph Epstein. Au matin du 16 novembre 1943, Manouchian est arrêté en gare d’Évry Petit-Bourg. Sa compagne Mélinée parvient à échapper à la police.

Missak Manouchian, torturé, et vingt-trois de ses camarades sont livrés aux Allemands de la Geheime Feldpolizein 11 (GFP) qui exploitent l’affaire à des fins de propagande.

Le tribunal militaire allemand du Grand-Paris juge 24 des résistants arrêtés, dont Manouchian, en présence des journalistes de la presse collaborationniste qui dénoncent le « cynisme » des accusés, c’est-à-dire le fait qu’ils assument pleinement les attentats qu’ils ont commis. Parmi eux, 10 sont sélectionnés pour la composition de l’Affiche rouge, où apparaît l’expression « l’armée du crime ». Le tribunal prononce 23 condamnations à mort.

Le 21 février 1944, les 22 hommes du groupe des condamnés à mort sont fusillés au Mont-Valérien, en refusant d’avoir les yeux bandés, tandis qu’Olga Bancic va être transférée en Allemagne et décapitée à la prison de Stuttgart le 10 mai 1944

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